J.S. BACH : 
L'oeuvre pour luth

3 volumes aux Editions Billaudot
14, rue de l'Echiquier, 75010 Paris

Considérations sur les pièces pour luth
par Michel Sadanowsky

                                      

Une nouvelle édition des oeuvres complètes pour luth de J.S. BACH peut paraître présomptueuse, mais l'expérience avec la transcription des Suites pour violoncelle et le succès remporté par celles-ci dans tous les pays où elles sont distribuées m'ont encouragé à proposer la synthèse d'une réflexion sur les suites et pièces diverses pour luth.

Une recherche musicologique, à la portée de tous, fait apparaître certains paradoxes de dates et de signatures. Je livre ici quelques faits et laisse au lecteur le soin de se documenter et d'aboutir à ses propres conclusions.

 Suite no 1, BWV 996 : manuscrit conservé à la Staatsbibliothek de Berlin, dans une collection compilée par J.L. Krebs, élève de J.S. Bach et compositeur. Le titre exact est " Praeludio con la Suite da Bach, aufs Lauten Werk ". Le Lautenwerk, plus connu sous le nom de Lautenklaviezzimbal, ou luth-clavecin, est un instrument à clavier qui reproduisait le timbre du luth. Un simple coup d’œil sur le prélude et la gigue confirme une évidente écriture pour clavecin

 Suite no 2, BWV 997 : existe pour clavecin sous la forme Suite en do mineur et en tablature, conservée à la Stadbibliothek de Leipzig, sous la forme Partita en do mineur, sans signature et sans la fugue ni le double de la gigue, pourtant présents dans la version clavecin. On attribue certainement l'absence de ces mouvements au fait que l'auteur de la tablature, J.C. Weyrauch, luthiste ami de J.S. Bach, n'était pas en possession d'une technique suffisante pour résoudre les difficultés posées par la fugue et le double, qui sont, de nouveau à l'évidence, d'une écriture pour clavier.

 Suite no 3, BWV 995 : il existe 2 versions de cette suite, sous les dénominations " Pièces pour la lute à Monsieur de Schouster "   signée et préservée à la Bibliothèque Royale de Bruxelles et en tablature " G moll pour le lute, par Sre J.S. Bach " conservée à la Stadtbibliothek de Leipzig. Monsieur de Schouster entretenait des relations amicales avec K.P.E. Bach et c'est à sa demande, vers 1725, que J.S. Bach a effectué la transcription de la 5e Suite pour violoncelle, écrite en 1720. On ignore qui est à l'origine de la réalisation du manuscrit de la tablature.

 Suite no 4, BWV 1006a : le manuscrit est conservé au Musashino College of Music de Tokyo. La tonalité de Mi majeur est surprenante pour l'accord usuel de do mineur du luth baroque. Il est invraisemblable que J.S. Bach, habituellement attentif à ne pas écrire une musique impossible à jouer sur l'instrument pour lequel il compose, n'ait pas transposé cette suite dans une tonalité plus appropriée. La théorie la plus plausible est qu'il nota quelques basses et laissa au luthiste auquel elle était dédiée le soin de l'adapter à sa discrétion.

 Prélude, Fugue et Allegro, BWV 998 : le manuscrit, signé par J.S. Bach et qui peut être consulté a Ueno Gakuen College de Tokyo, porte le titre " Prélude pour la Lute o Cémbal par J.S. Bach ". La tonalité de mi bémol majeur confirme une conception luthistique de l'écriture.

 Deux autres versions existent, l'une en ré mineur pour orgue, composée en 1720, l'autre en sol mineur pour violon (2è mouvement de la Sonate no 1), composée vers 1720. Il y a dans l'exposition de la fugue, des différences assez marquées entre la version pour luth et la version pour violon, seule signée par J.S. Bach.

Prélude en ré mineur, BWV 999 : le manuscrit, préservé à la Staatsbibliothek de Berlin, est signé par J.P. Kellner (compositeur de Thuringe qui entretenait des relations amicales avec J.S. Bach et G.F. Haendel), et porte le titre " Praelude in C moll (Do mineur) pour la lute di J.S. Bach ".

 Conclusion  
Il est tentant de déduire de tout cela que, d'une part, à l'exception du Prélude en ré mineur et du triptyque Prélude, Fugue et Allegro, les œuvres pour luth n'ont pas été conçues originellement pour cet instrument.

D'autre part, l'idée généralement admise d'une proche parenté entre la guitare et le luth (ce qui est douteux tant d'un point de vue historique qu'organologique), a conduit les guitaristes à préférer jouer les oeuvres de J.S. Bach pour luth, plutôt que d'autres de ses oeuvres.

Il faut donc conclure que jouer les Suites pour luth sous le prétexte que la guitare en est issue est une pratique sans fondement. Il y a cependant de bonnes raisons de les jouer : essentiellement le fait qu'il s'agit de chef-d’œuvres à la polyphonie plus évidente que celle d'autres suites et qui en outre, présentent des difficultés techniques stimulantes.

Les doigtés proposés ici ont été pensés en fonction des impératifs mélodiques et harmoniques propres à la musique de J.S. Bach. Le besoin évident de donner à ces oeuvres la sérénité qu'elles réclament conduit obligatoirement l'interprète conscient à simplifier les éléments techniques utilisés. Une meilleure définition générale sera obtenue en jugeant objectivement de l'emploi des liaisons, et le contrôle des basses clarifiera l'ensemble du discours.

Il est possible qu'une première lecture ne mette pas immédiatement en évidence l'opportunité des choix adoptés, mais l'imagination de l'interprète, débarrassée d'éléments parfois trop subjectifs, lui permettra de comprendre la finalité musicale et instrumentale de tel ou tel doigté et d'avoir accès à la musique du grand J.S. Bach avec une guitare.