Une nouvelle édition des
oeuvres complètes pour luth de J.S. BACH peut paraître présomptueuse, mais
l'expérience avec la transcription des Suites pour violoncelle et le succès remporté
par celles-ci dans tous les pays où elles sont distribuées m'ont encouragé à proposer
la synthèse d'une réflexion sur les suites et pièces diverses pour luth.
Une recherche
musicologique, à la portée de tous, fait apparaître certains paradoxes de dates et de
signatures. Je livre ici quelques faits et laisse au lecteur le soin de se documenter et
d'aboutir à ses propres conclusions.
Suite no 1,
BWV 996 : manuscrit conservé
à la Staatsbibliothek de Berlin, dans une collection compilée par
J.L. Krebs, élève de J.S. Bach et compositeur. Le titre exact est
" Praeludio con la Suite da Bach, aufs Lauten
Werk ". Le Lautenwerk, plus connu sous le nom de
Lautenklaviezzimbal, ou luth-clavecin, est un instrument à clavier
qui reproduisait le timbre du luth. Un simple coup d’œil sur le prélude et
la gigue confirme une évidente écriture pour clavecin
Suite no
2, BWV 997 : existe
pour clavecin sous la forme
Suite en do mineur et en tablature, conservée à la
Stadbibliothek de Leipzig, sous la forme Partita en do mineur, sans signature et
sans la fugue ni le double de la gigue, pourtant présents dans la version clavecin. On
attribue certainement l'absence de ces mouvements au fait que l'auteur de la tablature,
J.C. Weyrauch, luthiste ami de J.S. Bach, n'était pas en possession d'une technique
suffisante pour résoudre les difficultés posées par la fugue et le double, qui
sont, de nouveau à l'évidence, d'une écriture pour clavier.
Suite no 3, BWV
995
: il existe 2
versions de cette suite, sous les dénominations " Pièces pour la lute à
Monsieur de Schouster " signée et préservée à la Bibliothèque
Royale de Bruxelles et en tablature " G moll pour le lute, par Sre J.S.
Bach " conservée à la Stadtbibliothek de Leipzig. Monsieur de Schouster
entretenait des relations amicales avec K.P.E. Bach et c'est à sa demande, vers 1725, que
J.S. Bach a effectué la transcription de la 5e Suite pour violoncelle, écrite
en 1720. On ignore qui est à l'origine de la réalisation du manuscrit de la tablature.
Suite no 4, BWV
1006a
: le manuscrit est
conservé au Musashino College of Music de Tokyo. La tonalité de Mi majeur est
surprenante pour l'accord usuel de do mineur du luth baroque. Il est invraisemblable que
J.S. Bach, habituellement attentif à ne pas écrire une musique impossible à jouer sur
l'instrument pour lequel il compose, n'ait pas transposé cette suite dans une tonalité
plus appropriée. La théorie la plus plausible est qu'il nota quelques basses et laissa
au luthiste auquel elle était dédiée le soin de l'adapter à sa discrétion.
Prélude, Fugue et Allegro, BWV 998
:
le manuscrit, signé par J.S. Bach et qui peut être consulté a Ueno Gakuen College
de Tokyo, porte le titre " Prélude pour la Lute o Cémbal par J.S. Bach ". La
tonalité de mi bémol majeur confirme une conception luthistique de l'écriture.
Deux autres versions
existent, l'une en ré mineur pour orgue, composée en 1720, l'autre en sol
mineur pour violon (2è mouvement de la Sonate no 1), composée vers 1720. Il y a
dans l'exposition de la fugue, des différences assez marquées entre la version pour luth
et la version pour violon, seule signée par J.S. Bach.
Prélude en ré mineur, BWV 999
: le manuscrit,
préservé à la Staatsbibliothek de Berlin, est signé par J.P. Kellner (compositeur de
Thuringe qui entretenait des relations amicales avec J.S. Bach et G.F. Haendel), et porte
le titre " Praelude in C moll (Do mineur) pour la lute di J.S. Bach ".
Conclusion
Il est tentant de déduire de tout cela que, d'une part, à l'exception du Prélude en
ré mineur et du triptyque Prélude, Fugue et Allegro, les uvres pour
luth n'ont pas été conçues originellement pour cet instrument.
D'autre part, l'idée
généralement admise d'une proche parenté entre la guitare et le luth (ce qui est
douteux tant d'un point de vue historique qu'organologique), a conduit les guitaristes à
préférer jouer les oeuvres de J.S. Bach pour luth, plutôt que d'autres de ses oeuvres.
Il faut donc conclure que
jouer les Suites pour luth sous le prétexte que la guitare en est issue est une
pratique sans fondement. Il y a cependant de bonnes raisons de les jouer : essentiellement
le fait qu'il s'agit de chef-duvres à la polyphonie plus évidente que celle
d'autres suites et qui en outre, présentent des difficultés techniques stimulantes.
Les doigtés proposés ici
ont été pensés en fonction des impératifs mélodiques et harmoniques propres à la
musique de J.S. Bach. Le besoin évident de donner à ces oeuvres la sérénité qu'elles
réclament conduit obligatoirement l'interprète conscient à simplifier les éléments
techniques utilisés. Une meilleure définition générale sera obtenue en jugeant
objectivement de l'emploi des liaisons, et le contrôle des basses clarifiera l'ensemble
du discours.
Il est possible qu'une
première lecture ne mette pas immédiatement en évidence l'opportunité des choix
adoptés, mais l'imagination de l'interprète, débarrassée d'éléments parfois trop
subjectifs, lui permettra de comprendre la finalité musicale et instrumentale de tel ou
tel doigté et d'avoir accès à la musique du grand J.S. Bach avec une guitare. |