1. GENERALITES
: Genre - style - forme - structure
Peut-être
peut-on re-préciser le sens de certains termes dont tout musicien
est amené à faire un usage fréquent.
On peut donner du genre
deux définitions apparemment différentes, mais qui se complètent très bien.
Le genre peut être un certain esprit qui préside à la conception d'une œuvre
ou bien la réunion, en une même famille, d'un certain nombre de formes ayant
entre elles suffisamment d'affinités. On peut distinguer des genres d'ordre
spirituels tel que la musique sacrée ou profane, ou d'ordre technique,
musique vocale ou instrumentale.
Chacun sait ce qu'est une forme
: c'est un certain type d’œuvre.
Le concept d'idée de forme n'est définissable qu'après avoir fait
minutieusement le tour des problèmes qui s'y rattachent : c'est-à-dire
situer ce concept par rapport aux notions de genre, de style et de
structure. Par forme, on entend la manière dont est construite une œuvre. Il
faut éviter la confusion avec la structure
qui selon Boris de Schoezer, est l'agencement de diverses parties
en vue de constituer un tout, la forme étant ce tout. La structure interne
d'un mouvement peut laisser indifférent l'auditeur. Il est cependant
indispensable que l'interprète en connaisse les plus infimes articulations.
C'est ce
dernier genre qui est traité ici. Il est nécessaire de poser la
notion de genre pour mieux définir les problèmes que posent les
notions de style et de forme.
Le style
est la marque distinctive d'une pensée qui, matérialisée par une
technique, fait que l’œuvre est originale ou non. Le style donne un
visage à l’œuvre, ce qui permet d'en identifier l'auteur. Le style
est une façon d'écrire : On fait allusion ici aux tournures
employées, aux procédés particuliers, ou à une façon de jouer. De ce
fait l'importance du style dépasse celle de la forme, car il expose
une personnalité.
En conclusion, la musique s'adressant à la sensibilité plus qu'à la
raison, faut-il que celle-ci impose une organisation à une suite de
sensations agréables, brutales ou raffinées? Doit-on craindre que le souci
de bien construire chasse du discours musical toute spontanéité ?
Il est évident qu'une maîtrise parfaite de la forme ainsi qu'une analyse
serrée de la structure ne sont suffisantes à créer une musique valable.
Cependant, sans être des conditions suffisances, elles sont absolument
nécessaires.
II. STRUCTURE GENERALE DE LA SUITE
La structure de la suite a été imposée par Froberger vers 1650,
et est fondée sur une succession de mouvements modérés ou lents et
de mouvements rapides. Elle comprend au moins 4 parties disposées
comme suit : Allemande, Courante, Sarabande, Gigue.
Mais entre la Sarabande et la Gigue peuvent s'intercaler d autres danses
telles que : Menuets, Gavottes ou Bourrées, en ce qui concerne les
suites pour violoncelle. Souvent l'Allemande est précédée d'un grand
prélude parfaitement structuré.
III. FORME ET
CARACTERE DES DIFFERENTS MOUVEMENTS
Le Prélude : au
17è siècle, le prélude
est une forme très libre évoquant l'improvisation. On y trouve
souvent les éléments thématiques appelés à être développés dans les
mouvements de la suite. C'est J.-S. Bach qui, l'un des premiers,
songe à organiser et structurer le prélude, en lui donnant des
proportions plus vastes. Cette forme emprunte souvent la structure
binaire des mouvements de la suite; " le Prélude est exécuté
majestueusement " QUANTZ.
L’Allemande
: rythme binaire et de tempo modéré, l'Allemande est une danse
qui vient d'Allemagne. Au 17è, elle remplace la pavane dans " la
suite. La forme est généralement en 2 parties avec reprise, évoluant
de la tonique à la dominante avec retour à la dominante sans
réexposition de thème. La phrase initiale débute par une anacrouse
d'une note (suite No 1 et 2), parfois remplacée par un groupe de
notes de même fonction. Bach traite ici l'Allemande de type italien,
à caractère plus fluide, en opposition au type français, plus
contrapuntique et de caractère plus grave.
La Courante : danse italienne ou
française, de rythme ternaire, la Courante était la danse préférée
de Louis XIV. J.-J. Rousseau suppose ainsi l'origine du nom : " la
Courante est ainsi nommée à cause des allées et venues dont elle est
remplie plus qu'une autre. " Elle garde le même plan tonal que
l'Allemande : tonique, dominante, tonique, et, comme elle, commence
par une anacrouse. On distingue deux types essentiels : le plus
ancien est. Le type italien à caractère rapide et sans artifices
contrapuntiques, et le type français plus modéré, avec de grandes
subtilités rythmiques et un style volontiers contrapuntique. Très
fréquente dans la suite, se plaçant derrière l'Allemande, la
Courante disparaît avec le genre " suite " après la mort de Bach.
La Sarabande : danse probablement
d'origine espagnole, de caractère lent et grave, la Sarabande admet
une forme binaire sur un rythme ternaire. Chaque phrase débute sur
un temps fort, le 2ème temps étant prolongé. La Sarabande se place
dans la suite après la Courante. Il faut distinguer les types
espagnols et italiens de la Sarabande, qui sont à caractère rapide,
du type français plus lent. En Allemagne, son caractère devient
grave.
Le Menuet :
danse de rythme ternaire, d'origine française, le Menuet se compose
de 2 parties répétées. A la fin du 17è, on a rajouté un 2ème Menuet
de structure identique, ce qui donne la forme A-B-A, avec Da Capo
après B. Le caractère de B diffère de celui de A par un thème plus
mélodique, ainsi que par la tonalité, qui peut être le relatif
mineur ou la dominante du ton principal. " Le caractère du Menuet
est d'une élégante et noble
La Gavotte
: danse probablement d'origine provençale, la Gavotte est de rythme
binaire, à caractère modéré. Comme le Menuet et la Bourrée, elle est
traitée dans la suite sous le forme A-B-A. " ce -sont des~ airs
graves et sérieux " FREILLON-PONCIN. " elle marque ses phrases et
ses repos de 2 en 2 mesures " ROUSSEAU.
La Bourrée : danse populaire française, elle fait
partie de la suite après 1650. De rythme binaire, sa forme est
généralement à 2 parties avec le plan tonal suivant :
tonique-dominante-, et retour à la tonique; la mélodie se décompose
en sections de 4 mesures répétées, suivies d'une conclusion. Elle
est traitée dans la suite comme le Menuet, sous la forme A-B-A, B
respectant les mêmes différences de caractère mélodique et de
tonalité. " une Bourrée s'exécute avec gaieté et un coup d'archet
cour simplicité; le mouvement est plus modéré que vite " BROSSARD.
La Gigue
: danse d'origine anglaise ou irlandaise, la Gigue se compose de 2
parties répétées, avec le plan tonal : tonique-dominante-tonique.
Son caractère est sautillant, sur un tempo d'allure rapide et de
rythme ternaire. On distingue 2 types principaux : le type français,
fugué et modéré, et le type italien, non fugué et rapide. Bach
emploi souvent un type mixte.
La Gigue terminant la suite, elle est, en général, le mouvement le
plus développé. Son évolution aboutit au mouvement rapide de la
sonate (finale). " la Gigue se joue moyennant un coup d'archet court
et léger " QUANTZ.
Il est possible et même souhaitable d'éliminer certains
problèmes de technique guitaristique, engendrés bien souvent par
l'aspect archaïque de notre instrument. Les
doigtés
proposés ici, ont été pensés avec l'idée de satisfaire toujours à un
ensemble de paramètres, imposés par une analyse du texte la plus
objective possible tels que définition maximum de la note, maximum
de facilité technique, et la plus grande luminosité possible dans le
discours polyphonique.
Un interprète,
soucieux de conférer à son jeu une aisance salutaire à la sérénité
que réclame le texte, sera amené, par exemple, à envisager le
problème du déplacement et ses conséquences : glissando, note de départ
écourtée, note d'arrivée pas toujours nette, silence pendant le
mouvement.
Par l'analyse
des conséquences d'un déplacement, même très bien fait, on arrive à
la justification de l'emploi des cordes à vide. Il est à
noter que Bach lui-même a indéniablement conçu ces suites avec un
emploi fréquent de celles-ci, au violoncelle bien sûr. Mais, ce qui
est valable au violoncelle l'est aussi à la guitare. Ne doit-on pas
rechercher la plus belle définition, le meilleur legato ? Les cordes
à vide ne sont pas aussi froides que veulent bien le croire
généralement les guitaristes, mais les doigts doivent les attaquer
un peu plus doucement, afin de créer une homogénéité avec les notes
doigtées.
On peut également associer un déplacement à un changement de phrase.
Une étude minutieuse de l'original révèle que certaines
articulations pouvaient avoir comme finalité la réalisation de cette
association.
Cependant, l'absolu n'existant pas dans la musique, tout système
définitif est à écarter. Si le déplacement est inévitable, il faut
en travailler la précision, la rapidité, la souplesse.
En règle générale, dans la musique baroque, les notes étaient tenues
un peu moins longtemps que ne L’indique leur notation. Cette
aération entre les notes se nomme silence d'articulation. " Il ne
faut pas que les notes semblent collées ensemble " QUANTZ. En
conséquence, le choix d'une attaque claire permettant un jeu aéré,
semble convenir parfaitement à l'exécution de cette musique.
IV.
TECHNIQUE
V - INTERPRETATION A.
Purisme - Nuances - Caractère - Tempi - Phrasé
On peut dire que les suites pour violoncelle seul de Bach
réunissent tous les éléments constitutifs de la musique : rythme,
mélodie, harmonie, modulation. L'analyse la plus objective conduit,
nous l'avons vu, à établir des exigences musicales, résolues par des
concepts techniques. Une fois ceux-ci maîtrisés, intégrés, l'esprit
est disponible pour se laisser pénétrer par la variété des éléments
musicaux. L'oreille doit rester attentive aux modulations, à la
maintenance des tempi, percevoir l'attraction naturelle des éléments
mélodiques et harmoniques. La concentration de. l'interprète doit
rester la plus totale possible pour gouverner l'ensemble des
éléments.
A
un purisme
ancien, caractérisé par l'observance stricte de certains principes
ou par le respect d une vérité définitivement établie, se substitue,
aujourd'hui, un intérêt pour la recherche du " Beau ", qui apparaît
plus vrai que toute vérité; Ceci n'exclut pas que le purisme peut
avoir sa raison d'être. Si ce n'est le bon goût ou I’intuition,
c'est peut-être le purisme qui amènera l'interprète à modérer le
vibrato, à être réservé dans les nuances, à éviter les glissandi ou
les rallentendi trop prononcés. Il n'est par certain que la
meilleure interprétation soit celle qui passe par l'expression d'une
émotion trop forte, mais peut-être est-ce elle qui passe par une
suggestion, toute nuancée de réserve, de cette émotion.
B.
Vibrato et ornementation
Le vibrato
est devenu aujourd'hui un agrément quasi systématique et forcé,
surtout chez les instrumentistes à cordes. En fait, cette
oscillation du son était autrefois employée comme un agrément, c’est
à dire à bon escient.
Voici
quelques avis de l'époque concernant les agréments et les ornements :
"... Il
faut former son goût en s'exerçant soi-même. Il est impossible de
donner des règles précises pour placer les ornements, qui soient
valables dans tous les cas... " MARPUNG.
Il est une
confusion
qu'il faut absolument éviter : l'assimilation d'une liaison du type
archet à celle du type guitaristique; exécuter des liaisons n'est
pas synonyme de jouer legato, bien au contraire. La liaison de type
archet sert, sans altérer la définition des notes jouées, à les
grouper sous forme d'un mot à caractère musical. Sur la guitare,
cette intention peut être parfaitement reproduite en jouant toutes
les notes, suffisamment legato, et surtout en conférant à l'ensemble
de ces notes le caractère musical souhaité, ceci avec l'avantage
d'éliminer les problèmes guitaristiques de la liaison : poids
inconsidéré, souvent incontrôlé de la première note jouée,
définition modifiée sans raison de la note suivante avec influence
sur les paramètres suivants : timbre changé par
l'attaque
d'un doigt sans ongle, à la main gauche, sécurité du jeu diminuée
par des positions difficiles, surtout sur les cordes internes;
enfin, conséquence la plus dramatique, le discours devient lourd et
non homogène.
En résumé, la résolution technique et musicale de ces suites, qui
est proposée ici, est fondée sur un emploi très modéré de la
liaison, sauf pour certaines articulations de motifs rapides, dans
lesquels la définition des notes n'est pas remise en question;
charge restant à l'interprète de jouer ces pièces en donnant à
uditeur l'illusion qu'un archet invisible passe sur l'ensemble des
notes, exécutées parfaitement nettes.
L'évolution contemporaine de la musique tend à démontrer que, si
l'exécutant. sait les jouer, les silences ont autant de valeur
interprétative que les notes.
Il m'est apparu indispensable, tant au niveau théorique, qu'au
niveau pratique, que les doigts de la main droite, générateurs de
notes, soient capables de les contrôler.
Ceci prend sa valeur sur la ligne de la basse. jouée par le pouce.
Par un mouvement parfaitement conscient, le pouce vient se reposer
un ou deux temps plus tard, sur une note qu'il a jouée, coupant la
note, en satisfaisant au moins à deux conditions essentielles :
définition et articulation de la ligne de basse, et contrôle total
de toute harmonie résiduelle dont la prolongation ne serait pas
souhaitable, rejoignant en cela, la fonction de la pédale du piano.
Certains avis
autorisés affirment parfois : " toute la musique de Bach doit être
jouée comme à l'orgue, sans crescendo ni decrescendo ". On peut
concevoir une opinion moins dogmatique, tenant compte du fait que si
Bach était organiste, il était avant tout compositeur, connaissant
parfaitement d'autres instruments, allant même jusqu'à inventer la "
viola pomposa ", pour laquelle il écrit la suite N°5. Étant
violoniste, Bach avait donc conscience de la flexibilité de l'archet
et de ses possibilités dynamiques. Il serait donc impensable de
jouer ces suites sans la moindre variation d'intensité. Aucune
indication de nuance n'étant précisée dans l'original, l’interprète
reste libre de nuancer selon son bon goût et ses propres sentiments.
Il incombe cependant à chaque interprète de trouver le
caractère
d'une œuvre, et mieux vaut ne pas le déterminer à l'avance.
Le problème essentiel et délicat des tempi est fonction du
caractère. L'interprète trouvera un tempo juste lorsqu'il sera totalement imprégné de la
signification du texte, et ceci sans le recours d'une référence
métronomique quelconque. L'exécutant trouvera le
phrasé juste en chantant la musique avant de la jouer et en
prenant conscience des périodes et des articulations la composant.
La puissance de la musique de Bach réside essentiellement dans son
unité. Joué fragmentairement, Bach n'est plus Bach.
Quelle que soit la forme de la musique de Bach, elle doit toujours
avancer à la façon d'un fleuve irrésistible : rien ne peut
l’écarter de sa route.
" ... jamais
les agréments ne doivent altérer le chant ni la mesure de la pièce... le bon
goût est le seul arbitre ... Il importe beaucoup de savoir bien exécuter les
ornements, car, sans cela, ils défigurent les pièces au lieu d'en augmenter
la beauté, et il vaudrait mieux n'en point faire du tout que de les faire
mal... " ST LAURENT.
"... Je
conseille de ne pas trop s'enfoncer dans les ornements et de s'appliquer
plutôt à jouer simple d'une manière noble, propre et nette... " QUANTZ.
En
conclusion, il me semble préférable de convaincre l'auditeur, sans
rechercher les effets, mais en jouant avec la plus grande simplicité
possible.
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